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от 02 June 2016
 

A Venise, pour voir... rouge!

02 June 2016

Complètement faucille. Complètement marteau. Chaque pavillon avant de verser dans le reportage de guerre voulu par Alejandro Aravena doit positionner son «front». Il en va, pour la Russie, de son encombrante architecture soviétique, plus précisément stalinienne. Pour s’illustrer, l’imposant parc VDNH de Moscou fait office de cas d’école. La belle provocation !

D’aucuns rentrent par la porte de service. Accueilli en trombe par les coeurs de l’armée rouge, le visiteur découvre une fresque monumentale — la reproduction d’un bas relief doré à souhait — le tout à la gloire du communisme. Apothéose du mauvais goût? Second degré ? Difficile de trancher.

Sur les murs, Léon Tolstoï est cité. Guerre et Paix. Mazette ! Ce sont bien les nouvelles du front. En une phrase bien sentie, l’auteur déclare que tous les phénomènes de la vie «peuvent être divisés entre ceux qui donnent de l’importance au contenu et les autres, à la forme». La phrase aux allures d’avertissement prévient le visiteur...il s’agit d’aller au-delà des apparences.

Il y a deux ans déjà, la Russie avait eu un coup de génie ; au Batimat de Rem Koolhaas, le pays a répondu au sein de sa fantasque pâtisserie façon église orthodoxe, par un salon de l’immobilier moderniste... à chaque stand, sa proposition indécente : barre sur papier glacé et élégante brochure pour gratte-ciel stalinien (lire à ce sujet : Le savoir-’fair’ russe).

Aussi pertinent que drôlissime, ce pavillon avait suscité la controverse. Beaucoup avait mis en doute la sincérité des Russes voire même leur capacité à rire d’eux-même (ce que la France semble, quant à elle, incapable de faire)...et pourtant! Le rire était de mise.



Et cette année ? Une nouvelle provocation ? Sergeï Kuznetsov, le commissaire — le même qu’il y a deux ans justement, le même aussi qu’il y a quatre ans...et le même qu’il y a six ans... — s’en défend. L’homme est en outre l’architecte en chef de la ville de Moscou... autant dire qu’il s’agit d’un personnage aussi sérieux qu’inaccessible... sauf avec un peu de patience.

Alors, une provocation ? «Si vous le souhaitez. Ce n’était toutefois pas notre volonté», répond-il au Courrier de l’Architecte. L’exposition est bel et bien loin de l’humour d’il y a deux ans. Rien ne semble d’ailleurs trahir sur les murs du pavillon un quelconque second degré.

Outre l’imposante fresque, l’exposition présente dans une atmosphère cryptique une série de moulages, de sculptures et de détails des pavillons érigés de la fin des années 30 jusqu’au début des années 60 dans le parc du VDNH, centre d’expositions panrusse, celui de toutes les Russies et de toutes les républiques soviétiques socialistes.

Mais pourquoi? Pourquoi donc aujourd’hui une telle réhabilitation ? L’architecte en chef de Moscou laisse entendre qu’il transforme la ville. Grosso-modo, qu’il lacaton-vassalise toutes les tours et barres de la capitale russe, qu’il régénère le logement social à tour de bras. Pourquoi alors ne pas présenter ce travail ? Sergeï Kuznetsov affirme qu’il préfère de loin mettre en avant "la Palmyre de Moscou«...à savoir le VDNH que l’Etat vient de rétrocéder à la ville.

La Palmyre de Moscou? En rejettant le patrimoine stalinien, serions-nous de ces extrémistes voire de ces terroristes ? Pour l’architecte en chef de la ville, il s’agit avant tout de composer avec cet ensemble qu’il a, depuis peu, sur les bras, tout en le respectant.



Mais qu’en faire ? Trente années se sont quasiment écoulées depuis la chute du régime soviétique. La douleur de la transition digérée, le parc, laissé à l’abandon puis transformé en marché, retrouve enfin ses lettres de noblesse. Il sert de décor désuet à quelques institutions culturelles. Petit à petit, les pavillons sont transformés et restaurés.

Derrière des murs de plâtres, les ouvriers redécouvrent des fresques oubliées et, des caves, ressurgissent des symboles éculés. «Quand Alejandro Aravena est venu visiter le pavillon, il nous a dit qu’il y avait là l’idée qu’il voulait défendre, à savoir qu’il y a, sous nos pieds, ces choses que nous devons voir autant que cette femme, sur l’affiche de la biennale, grimpe sur une échelle pour observer les géoglyphes du désert de Nazca...», explique le commissaire.

Pour autant, ce parti pris laisse transparaître l’ambition de réhabiliter un idéal, sinon de remettre au goût du jour une époque révolue. «Nous ne vivons pas dans la nostalgie d’un style de vie. Soyez certain que je ne partage pas l’idéologie staliniste», assure-t-il.

Magistral, le Pavillon russe interroge. Plus encore, il provoque et dérange dans une biennale plutôt sage et policée, un brin guindée voire un tantinet moralisatrice. Bref, il frappe ! Peut-être Sergeï Kuznetsov fait-il montre, comme l’architecte Viacheslav Oltarzhevsky, au temps où il livrait, dans les années 30, le Pavillon de la Mécanisation au VDNH, de la même attitude...à savoir d’un «comportement moralement délinquant»... Bref, tout pour y voir rouge!



 

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