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от 22 June 2016
 

Biennale IV. Matrex débarque à Venise

22 June 2016
Biennale

Les propositions russes pour la biennale d’architecture, assurément décalées, se montrent encore fortement politiques. Du poids de l’ironie dans la discipline.

Retour vers l’utopie ? A l’heure où supporters et athlètes russes peinent à rester dans les compétitions internationales, le pavillon russe, à Venise, fait lui aussi un pas de côté. Récupération pour récupération, la proposition s’y centre moins sur les matériaux naturels ou l’aménagement des banlieues oubliées que sur le Parc Panrusse des Expositions, au doux nom abrégé de VDNKh. Fondée en 1939, cette micro-ville des plus ostentatoires abrite notamment les restes du pavillon soviétique pour l’Exposition Internationale de Paris de 1937 (on sait qu’il dialoguait alors avec son pendant hitlérien, pour une sinistre compétition de testostérone néoclassique). Privatisée en 1991, elle menait depuis petite vie — avant de rentrer dans le giron de la macro-ville de Moscou, qui entend désormais la rendre à sa gloire passée.

Au rez-de-chaussée, à Venise, on admire ainsi de charmantes statues de plâtre. l’union du paysan et de l’ouvrier, la corne d’abondance, le paysan traînant son bœuf... Le tout très blanc sur fond très noir. Bel éclairage en vérité. Dommage que le pavillon lui-même ait déjà été construit. On aurait peut-être eu droit à une de ces merveilles néoclassiques auxquelles le stalinisme nous avait habitués, et dont sont descendus veaux, vaches et ouvriers modèles...

Evidemment, il y a là de quoi se réjouir. Mais ce n’est rien encore à côté de l’étage. Plongée dans une musique d’aéroport yéyé, la grande pièce circulaire fait office de géode improvisée. le VDNKh dans toutes sa gloire, ses colonnades, ses portes triomphales, son aéroport, son missile... Et naturellement, ses paysans et ouvriers, main dans la main. Au plafond, un merveilleux kaléidoscope mêle architectures, gerbes de blé, sapins, paysannes... sur un merveilleux ciel bleu. Encore un peu, et l’on se réfugierait dans le pavillon français.

Ce qui a valu cette étonnante boule à neige reste mystérieux. Nostalgie ? Le moment s’y prêterait assez bien. Une pointe d’ironie ? D’intelligentes lithographies, recyclant à tout va nos statues en tous genres, peuvent y faire penser. Mais rien ne permet vraiment de basculer de ce côté de la force. A défaut de clarification, c’est encore le recyclage qui s’impose en tant que tel. Recyclage politique, pour commencer, d’une grandeur à une autre — ou un autre désir de grandeur. Recyclage touristique, pour finir, où tout rebut d’utopie, de tyrannie aussi bien, devient signe identitaire. Plus la joie de refuser tout ordre international, fût-il celui d’Aravena. Un plaisir comme ça, ça ne se refuse pas.

Faut-il le remarquer ? Dans l’Arsenale, une autre présence russe arrête le regard. Une maquette noire et bleue, imposante — on en impose forcément, en Russie ? —, présentée dans une musique un peu plus techno. Une pyramide tronquée, d’une bonne quinzaine d’étages. Mais largement évidée, selon ce qui semble d’abord un barbapapa... et se révèle une matryoshka — ou poupée russe, pour les moins érudits. Le fond en est occupé par un théâtre circulaire en gradins, tandis que les bords de l’arrondi supérieur déploient une rampe d’exposition qui semble calquée sur celle du Musée Guggenheim de Wright.

Matrex. ainsi se nomme la chose. Bien vu, pour un projet qui paraît vouloir intégrer les rondeurs du blob dans un building classique. C’est, en un mot, admirablement mêler la veine technologique avec la forme protectrice, pour un résultat nettement androgyne. Quelque chose comme la mère-patrie, à l’heure de Poutine décidemment (Poutine et Medvedev, à se passer le pouvoir, ont donné lieu à quelques malicieuses poupées encastrées). Une mère puissante. Forcément puissante.

Boris Bernaskoni, pendant quelques années, et par la grâce du photomontage, a d’abord posé ici ou là sa matryoshka de verre — sans enveloppe, pour commencer. L’initiative rappellerait volontiers le sort de l’œuf colossal d’André Bruyère, qui tourna lui aussi de capitale en capitale, dans les années soixante-dix, et finit peut-être par éclore au tournant du millénaire dans les cigares si ressemblants de Foster et Nouvel, à Londres et Barcelone. Le serrage de ceinture — la fameuse forme en 8, de barbapapa — offrirait de ce fait la seule originalité valable. Mais c’est peut-être là tout son enseignement. Il reste frappant que l’exubérance technique — foncièrement hors-sol — ne retrouve l’identité nationale que dans le kitsch touristique le plus consommé. Nouvel en avait déjà donné un exemple en rhabillant son cigare de moucharabiehs — Qatar oblige. Au temps du Think global — Act local, l’architecture semble parfois prendre à cœur d’exhiber la schizophrénie possible des identités. Par bonheur, le rêve de puissance ne fait pas dans la dentelle.

Biennale Architettura 2016 — Russia

Et pourtant, reste le catalogue. Matrex, toujours, pour la plongée dans l’illusion de la mère. Un étonnant catalogue pour tout dire, mêlant l’histoire savante des matryoshkas, leurs possibles origines japonaises, égyptiennes, leur usage populaire, politique... et les diverses apparitions du monstre de verre, au Caire, à Tokyo, Pékin, Londres, New-York... " Se levant à l’aube... pour se répandre par-delà les mers... et coloniser le globe... pour un soleil qui ne se couche jamais " ! Oh, la belle allégorie ! Oh, les merveilleux glissements. des sarcophages pharaoniques à la poupée russe, de Wright à la matryoshka, de l’empire colonial anglais au rêve russe revisité!

Matrex, que peu auront feuilleté au milieu de l’offre foisonnante de la Biennale, ressemble à ce Mythe tragique de l’Angélus de Millet, de Dali, que tous devraient lire sans plus tarder. Aussi délirant. Presque aussi drôle. Et d’une ironie, oui, proprement politique — renversant les utopies bâtardes des puissants. En fin de parcours, et pour reprendre le fameux bal des Beaux-Arts de New York de 1931 — où les architectes paraissaient vêtus de leurs plus beaux buildings — Bernaskoni coiffe ses confrères les plus acclamés de pyramides de leur invention, avant d’exhiber lui-même, telle une tiare pharaonique, le Matrex dernier modèle. On ne pouvait mieux faire consonner la volonté de puissance de l’architecte avec celle de ses commanditaires étatiques.

Quod erat demonstrandum ?

(A suivre...)



 

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